Que sont les ruelles pour une ville de l’ampleur de Montréal? Qu’est-ce que la ruelle représente pour les citoyens qui l’habitent? Comment réimaginer la ruelle commerciale comme l’espace public du 21e siècle? Voilà quelques-unes des questions qui nous habitaient en plongeant dans un projet passionnant réalisé à la fin de juillet 2016.
Les ruelles sont des espaces paradoxaux. Ce sont des espaces publics, qui appartiennent donc à tous, mais qui sont toutefois davantage utilisés comme des espaces privés. Ils sont peu valorisés, peu fréquentés, peu désirés. On y entrepose ses ordures, on y effectue ses livraisons, on les utilise comme raccourcis d’un point de la ville à l’autre. Rarement y passe-t-on plus de quelques minutes, et encore moins les considère-t-on comme des espaces de vie et de détente. Pourtant, et c’est là le paradoxe, les ruelles sont aussi des espaces très utilisés, qui font partie des éléments marquants du paysage urbain montréalais. Dans le cadre du 375e anniversaire de la ville de Montréal en 2017, la ville souhaite donc réaliser entre 3 et 5 projets pilotes pour transformer des ruelles commerciales du centre-ville en des espaces publics habités et conviviaux.
Pour ce projet, percolab a travaillé avec l’arrondissement Ville-Marie pour identifier les 5 ruelles les plus propices à l’aménagement d’un projet pilote en 2017, par le biais d’une démarche participative impliquant les commerçants, les travailleurs, les résidents et les touristes du Centre-Ville. Le processus a permis de mieux comprendre comment les gens utilisent l’espace, mais aussi de recueillir des idées, suggestions et commentaires pour influencer les aménagements qui seront réalisés par la ville. Percolab a été choisi par l’arrondissement pour sa capacité à créer des processus à la fois créatifs et rigoureux, et soucieux de cultiver l’inclusion de toutes les parties prenantes.
Par ailleurs, percolab se positionne dans l’exploration avec nos clients des paradigmes du futur : futur du travail, futur des organisations, futur des villes. Pour nous, ce projet était une magnifique opportunité d’explorer les patterns de la ville du futur à travers la création d’un espace public temporaire. Notre approche s’est centrée autour de la question de comment réimaginer ensemble la ruelle du futur.
Pour ouvrir un espace où l’on peut réimaginer un lieu, il faut offrir une expérience du lieu différente du quotidien, une expérience qui nous place dans un état de réceptivité et de créativité. Une fois dans cet ailleurs qui reste toutefois familier puisqu’on reste dans un lieu fréquenté quotidiennement, on est en mesure de voir ce qu’on ne voit pas : les possibilités. Nous avons débuté notre recherche du concept en passant du temps dans les ruelles, pour découvrir, remarquer, sentir l’espace, en percevoir les opportunités, les contraintes. Passer du temps dans les ruelles du centre-ville, c’est en découvrir les usages, mais aussi découvrir les volumes, les hauteurs, les sons qui habitent les lieux, les longueurs, les multiples objets qui la peuplent et en constituent l’imaginaire : escaliers, arches industrielles, poulies, câbles, etc.
Nous avons remarqué que personne ne s’assoit dans les ruelles, alors même que les travailleurs qui fréquentent le secteur sont debout toute la journée. Tout va vite, le travail est rapide, les pauses sont rapides. Pourquoi ne pas prendre cette opportunité pour ralentir, trouver dans la ruelle un endroit calme où s’asseoir, se détendre le temps de quelques minutes, le temps d’une pause ?
Pour créer le concept, nous avons innové avec quelque chose qui n’avait jamais été fait dans un projet avec la ville, en mélangeant une expérience d’accueil dans un espace recréé, avec un concept d’installation artistique progressif et construit sur le site même (collaboration de Rudi Ochietti), et une démarche rigoureuse de collecte de données et d’idées. L’espace invitait à la détente, avec un marquage au sol évoquant l’idée d’un parcours, une déambulation dans la ruelle. Des chaises confortables, disposées en ligne, mettaient en valeur la longueur du lieu, et des bacs d’eau invitaient les gens à s’y tremper les pieds et évoquaient la fraîcheur et la pause qu’on recherche dans une chaude journée d’été. Des arbres à fleurs attiraient le regard vers le haut et changeaient l’odeur du lieu.
Pour la collecte de données, nous recherchions des faits « bruts » concernant l’utilisation de l’espace (habitudes de transit, sentiment de sécurité, livraisons, etc.), mais également des rêves pour le futur de l’espace. Nous avons donc préparé un questionnaire simple, ainsi qu’une courte activité d’idéation invitant la créativité des participants et appuyée par un guide d’inspirations de projets similaires glanés à travers le monde.
L’alliance art, événement, processus d’accueil, collecte de données a fait en sorte de mettre en scène une expérience très singulière et innovante de co-design, qui s’est toutefois construite sur la base des apprentissages d’autres projets réalisés dans la ville (Champs de Mars, Notre Dame, Saint-Laurent, etc.). Chaque projet amène une approche de travail in situ pour réfléchir et réimaginer la ville. Comme dans un contexte de laboratoire vivant, c’est l’humain et le lieu qui est au centre, au service d’un potentiel de créativité collective pour la ville du futur. La présence d’un élément artistique, immersif, événementiel, au sein duquel tous les participants sont accueillis, peu importe leur âge, classe, qualité sociale, etc. fait en sorte que la démarche modélise une forme d’inclusion radicale et de brassage de perspectives qui préfigure la ville du futur, avec l’humain au centre.
Ce projet aura été une expérience mémorable à bien des points de vue. Nous avons été particulièrement surpris à quel point les gens ont embarqué dans le concept et se sont trempés les pieds avec des étrangers dans un espace public au centre-ville. Beaucoup de gens ont tellement aimé le concept que certains sont revenus à plusieurs reprises dans les différentes ruelles où nous étions présents une journée dans la semaine. Nous avons ainsi accueilli 1500 personnes dans 10 ruelles en 5 jours. Nous avons accueilli tous ceux qui se présentaient, sans exception : employés, sans-abris, touristes, enfants, personnes âgées, montréalais d’un jour ou de toujours. Nous avons été touchés par la diversité des contributions, celle des itinérants en particulier, qui connaissent intimement les ruelles, et dont les commentaires ont fait grandement progresser le projet.
Une autre surprise a été l’ampleur de la reconnaissance des gens pour l’installation et leur surprise devant la gratuité de l’expérience. Pour nous, c’est surprenant à quel point nous avons collectivement intégré la marchandisation de l’espace public : on s’attend à devoir payer pour vivre des expériences. En proposant une occupation différente de l’espace public, gratuite, accueillante et originale, percolab se positionne également sur le terrain des communs : les ruelles sont des espaces qui appartiennent à tous, encore faut-il pouvoir se donner la permission d’y participer et de les vivre. Cette expérience particulière de la ville comme commun a une valeur en elle-même.
Au final, cette intervention d’une semaine a permis à percolab d’apprendre énormément sur le contexte et l’espace des ruelles du centre-ville de Montréal, avec le concours des 1500 personnes qui ont été accueillies dans ce processus. Nous avons pu dégager de manière très naturelle les 5 ruelles les plus propices à être réaménagées par la ville comme des espaces publics, conviviaux et animés.
Nous avons également appris comment dans le contexte de projets liés à l’espace, la qualité et la validité des données récoltées est indissociable d’une expérience d’accueil: tout le monde a son mot à dire quand on vient à l’espace public. Le projet a également confirmé la nécessité d’une approche in situ pour se donner la permission de vivre la ville autrement. Le travail de percolab, dans ces conditions, est d’agir comme traducteurs de milieu entre les habitants de la ville et les institutions de gouvernance, pour contribuer à faire valoir les contributions improbables ou inattendues. En bout de ligne, il s’agit d’imaginer ensemble une autre façon de s’engager collectivement dans l’espace public, avec le soutien de la ville et la voix forte des citoyens, travailleurs et commerçants. C’est seulement dans la complexité de ce travail de traduction qu’on parvient à déconstruire les mythes jumeaux du citoyen payeur de taxes, mais peu impliqué dans la vie de la Cité, et du fonctionnaire isolé qui prend des décisions depuis un bureau du centre-ville. Traduire les préoccupations, fluidifier les relations, créer le dialogue pour humaniser nos villes, voilà le sens du travail que devons faire pour créer ensemble la ville du futur.